Ses paupières encore
fermées, Tara gesticule dans son lit, encore trempée de la sueur de la nuit
passée. Les premiers rayons percent à travers un trou dans le coin de la fenêtre.
Elle se sent d’attaque, puisant dans ce filet lumineux une énergie incroyable pour entreprendre cette longue
marche en solitaire. La solitude qu’elle recherche ne ressemble en rien à un isolement subi impitoyable. Non, c’est une déconnexion recherchée, décidée et même
nécessaire. Elle l’estime rare et précieuse. Elle veut en savourer chaque
instant et être présente à ce RDV avec elle-même. Elle se prépare avec beaucoup
d’attention, chaque geste s’imprime dans son corps. Ses vêtements de randonnée
l’habillent d’une joie sans pareille. Elle se sent fière de sa décision de
marcher seule, du silence qu’elle va cueillir et qu’elle saura transformer en
force.Son short élastique mais suffisamment lâche lui procure une deuxième peau,
une enveloppe d’une douceur apaisante et
relaxante. Sa brassière contenant ses seins fermes renforce sa fierté. Elle
bombe la poitrine spontanément. Elle saisit son reflet par accident, dans le
miroir de la chambre d’hôtes qu’elle s’était choisie pour passer la nuit après
sa journée de marche. Elle scrute ses formes équilibrées, ses jambes régulières
et ambrées par le soleil de cet été. Elle se trouve séduisante et femme. Elle
chausse ses grosses chaussures lourdes pour fouler la terre afin qu’elle la
sente présente au monde à son tour. Elle se sent si légère.
La voilà fin prête.
Elle sort et avant de fermer la porte, elle balaye du regard cette chambre
vert-olive, elle sourit, se parle à voix haute, et rappelle à cet espace que ce
soir elle enpuisera la douceur quila conduira vers le sommeil. Le silence des
lieux la rassure là-dessus : elle passera une belle nuit.
Là-haut, le soleil trône prétentieusement
.Tara le vénère car elle sait qu’elle peut compter sur lui et sur son
rayonnement.
Son itinéraire à
la main, elle cherche son chemin. Ses pas tranquilles la transportent, elle se
sent digne. Dans le craquèlement des pierres sous ses pas elle écoute sa vivacité,
son obstination, elle en réajuste les hanses de son sac à dos jusqu’à ne plus
le sentir et faire corps avec lui.
Son regard s’active
en cadence avec ses pas, elle embrasse la forêt de chênes qui ne laisse aucune
marge permettant à l‘horizon de naitre. Elle marche en attendant de savoir, de voir. La randonnée en forêt pour
elle ressemble à une toile sur laquelle le peintre n’a pas encore posé son pinceau.
Pourtant le tableau est dans sa tête vibrant
de couleur et de mouvement. xx
Elle fait des efforts
pour ne penser à rien d’autre qu’a cet instant, mais l’étroitesse du sentier la met mal à l’aise. Sa poitrine se serre sans
prévenir, sans raison évidente. D’un pas exagérément assuré, elle dessine des ponts
avec ses jambes comme pour éviter quelque chose, un obstacle invisible. Ses
yeux vaquent dans tous les sens afin
d’empêcher les branches qui tenteraient de lui barrer le chemin. Elle ne se
laisse pas abattre, derrière ses lunettes de soleil elle se protège des épines.
La solitude choisie a un coût semble t-elle se rendre compte.
Un mauvais
sentiment l’envahi soudainement. Elle vacille entre le désir de poursuivre
cette quête du silence,et l’envie de rebrousser chemin. Mais, faire marche
arrière serait une défaite, un assujettissement à la peur et elle n’en veut
pas. Elle a choisi, pour être seule, cette forêt entourant un ruisseau asséché
dans des gorges. Elle avale sa salive, tente de se raisonner, inspire
profondément pour s’assurer que rien ne peut lui arriver. L’étau pourtant dans
sa poitrine se serre. Le silence qu’elle recherchait devient bruyant. Elle
commence à sentir la peur. Cette peur chimérique qui grandit par la pensée, par
l’idée même de la peur. Où va-t-elle la puiser ? Tara se raccroche au vent
qui lui apporte un doux chant d’oiseau un peu atypique, presque exotique, elle
se raccroche aux couleurs de cette végétation étincelante et à l’idée de son
portable en cas d’urgence. Elle se demande alors où est le libre arbitre.L’exerce
t-elle dans cette volonté pure à choisir
de vivre sa solitude en marchant ? Oui elle marche, c’est cela qui importe,
se réconforte t-elle.
C’est
la fin de l’été, la rivière asséchée offre son lit dans la quiétude, un lit gris
recouvert de vieilles algues, de cailloux aux reflets salés, sans âmes. Un lit
blanc. Un linceul entouré d’arbres immobiles. Tara essaye de se conditionner,
un mot qu’elle trouve vraiment déplacé ici mais elle a besoin de se raisonner, de balayer les idées et pensées
morbides qui ont assailli sa tête et son corps en si peu de temps et sans
prévenir. Dame Nature est redoutable, se dit-elle. Elle se met à douter de
cette grande Dame aux mille costumes, de ses vertus ressourçantes. Ça y’est,
elle se met à accuser Dame Nature !
« Trop facile,
se renvoie-t-elle à voix haute. La peur vient de moi, pas de Dame
Nature ».
Ses pas se font
plus rapides, plus saccadés. Ses sens sont amplifiés mais pour percevoir ses
peurs dans les troncs difformes des arbres, dans le bruissement mystérieux et
fantomatique du vent, dans le craquèlement des branches dans les fourrés, dans
l’écho des pas dans sa tête, dans le ressac de ses pensées obsédantes. Son sac
pèse sur ces épaules.Elle stoppe pour boire une gorgée d’eau et se ressaisir
« la vie est belle, tu rêves tellement de ces moments là, pourquoi les
gâcher avec tes idées noires, « émet-t-elle en son for intérieur. Elle a du mal à avaler cette eau qui se coince
dans sa gorge, offrant au silence un bruit de déglutition forcée. La rivière
sèche qu’elle suit depuis le début de cette aventure elle aussi retient ses eaux.
Tout est immobile et pourtant si tumultueux.
Heureusement, des
criquets à chaque saut offrent leur
ventre rouge-passion à ce paysage monochrome. Des papillons jaunes aussi l’accompagnent quand elle reprend la marche.
Elle accroche son regard à ces compagnons de voyages et s’imagine leur courte vie qui se résume à virevolter et à butiner.
Un voyage, oui
c’est cela, la marche est un voyage, semble t-elle définir ?
Un voyage, un
espace à conquérir, de nouveaux chemins à découvrir, de la beauté à s’offrir en
cadeau, voilà se qu’elle est venue chercher.Pourtant c’est son corps qui se
découvre, un corps qui tremble, un corps assoiffé qui ne sait plus boire, un
corps à porter qu’elle trouvait pourtant si beau ce matin, un corps à ramener
entier, finit-elle par conclure.
Au détour du
sentier, enfin une percée de lumière, le ciel bleu embrasse Tara qui
sourit. Un rire conditionné, nerveux, un rire de conjuration.
Le sentier
grimpe .Sous ses pieds les pierres roulent, emportant dans un tremblement
des éclats de sa peur. Elle se baisse pour délacer ses chaussures de marche qui
ont porté ses pieds gonflés d’inquiétudes. Sa main posée au sol effleure une
pierre chauffée, exhalant sa poussière blanchâtre. Sous ses yeux, un scarabée
noir luisant s’est arrêté, probablement pour écouter les battements du cœur de
Tara. Celle-ci fait une pose pour reprendre du souffle. Un souffle qui reprend
son essence. Elle sourit à la bête noire et à ce noir arc-en-ciel sur son dos,
toujours immobile. Le scarabée reprend sa route et la peur de Tara doucement s’en va aussi, comme si elle s’était posée sur
la carapace noir arc-en ciel de l’insecte.
A présent, la
marcheuse s’accroche aux rapaces qui planent avec plénitude dans le bleu lointain : un concert d’ailes avec le
vent. Elle se sent mieux, moins seule et
en harmonie. L’horizon ouvert balaye ses dernières inquiétudes .Cela fait
déjà plusieurs heures qu’elle chemine même si le temps lui semblait paradoxalement
suspendu. Son corps retrouve peu à peu une légèreté, celle qu’elle est venue
rechercher. Elle bâille, s’étire, commence à converser avec les oiseaux qu’elle
croise sur son chemin, de plus en plus nombreux. Où étaient-ils ?S’interroge
t-elle. Ils étaient là pourtant. Elle capte des clapotis qui s’amplifient au fur et à mesure des ses pas. Des voix au
loin la rassurent, des échos de jeunes gens semblant profiter d’une cascade
d’eau. Il y a de l’eau, le savait-elle?
Son regard plonge
dans le lit de la rivière, un lit d’ombres et de lumières, un lit de gros
cailloux ronds et lisses et de branches entières, un lit de silence tranquille.
Le soleil dessine des arabesques en jouant avec les feuilles sur les arbres.
Tara regarde
l’heure sur son portable : cela fait déjà 4 heures qu’elle marche.
4 heures
d’oscillations mais 4 heures de marche,
de mouvement. Elle se dit que son horizon s’est ouvert, que la quête du silence
est coûteuse, qu’elle l’accepte et même elle se sent digne.Digne d’avoir
marché, d’avoir affronté ses peurs, digne de ne pas avoir abandonnée, digne de
son choix, digne de choisir.
Elle a enfin
bouclée la boucle.
C’est la fin de
la journée, le soleil l’attend pour se coucher, elle s’accroche à lui avec
tendresse. Elle se dit qu’elle a choisi de marcher seule, de boire seule, de
rire seule, d’avoir peur seule : le voyage est intérieur à présent. La
marche sonde l’intériorité de l’être, écrit-elle sur son petit carnet. Le
dernier rayon de soleil dessine un filet horizontal au loin, Tara sur la terrasse de sa chambre attrape le
silence et le conduit au sien, maintenant apaisé.
ce face à face et ce monologue intérieur est intéréssant.
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