jeudi 29 octobre 2015

La Grande Maternité

Collage et acrylique

 

 

"Rien n’est plus puissant qu’une idée dont l’heure est venue"

Victor Hugo

jeudi 15 octobre 2015



 
arnold rice


Recherche corde politique pour passer d'une extrême à l'autre. Personne sur la corde raide s'abstenir.

Embauche pompier pour réduire au silence le cri des flammes.

Recherche balance pour vendre la justice à tout prix.

Orchestre de chambre recherche table basse pour meubler une symphonie.

Propose temps mort contre temps libre pour prendre du bon temps.

Femme mariée offre le meilleur en échange du pire.

Loue sentiments pour coup d'État d'âme. Personne malheureuse s'abstenir.

Recherche en intérim grande-gueule pour avaler la pilule.

Embauche petits anges en tout genre pour retrouver le paradis perdu

Recherche le chat botté pour être à sa botte. Skieurs s’abstenir.

Vends olive noire pour cause de racisme.

Offre guillemets pour personne ne sachant pas se faire entendre.

mardi 6 octobre 2015

C'est Chouette- Aquarelle août 2015





Ouvrir grand les yeux
Croiser la flamme de son désir
Être à sa place

vendredi 2 octobre 2015

LES NOEUDS





Degas
En passant, il fallait faire attention aux chaussons postés devant chacune des portes qui donnaient sur les différentes chambres. Soraya avançait à pas de loup dans le noir, les pieds nus. Elle connaissait par coeur ce trajet, les distances, les largeurs, et elle savait qu'elle pouvait traverser cet espace les yeux fermés. Mais elle se garda bien de les fermer, l'enjeu était trop grand. Il ne fallait surtout pas réveiller la famille. Elle adorait escalader chacune de ces sandales qui patientaient jusqu'à l'aurore en attendant d'être réchauffées par leurs propriétaires. Elle imaginait  qu'elle était une fée géante et qu'elle traversait un fleuve rempli de barques où vivaient des lutins: la prudence devait être de mise car elle ne voulait pas les réveiller.
Elle arriva tout près de la porte de la salle de bain. Le soir elle avait fait attention à laisser la porte entrouverte  afin qu'elle n'ait pas à faire de bruit au moment l'ouvrir. Elle priait en silence pour que personne ne se soit levé cette nuit .Ouf, la porte était entrouverte et même franchement ouverte. Elle entra dans la petite pièce,chercha l'emplacement de l'interrupteur. Elle le trouva tout de suite. Elle posa uniquement sa main dessus sans appuyer, sortit le bout de son nez pour vérifier que personne ne l'avait vue entrer ici. Puis elle verrouilla la porte soigneusement et alluma la lumière. Elle patienta quelques instants afin de s'assurer du silence ambiant.
Soraya avait des dizaines de fois tentée cette expérience  sans jamais la mener à son terme. La culpabilité probablement. Cette fois-ci cela en était trop pour elle .Elle n'en pouvait plus de vivre ce cauchemar sans nom, cette injustice. Elle était plus que jamais décidée. Sa souffrance était beaucoup trop grande. Elle essayait de se convaincre que son corps lui appartenait et qu'elle avait tout les droits sur lui, même si ses parents passaient leur temps à lui démontrer tout leur pouvoir sur elle.
La salle de bain était une pièce froide d'un bleu méditerranéen. Le lieu était hostile, mouillé, humide. Il fallait faire vite.
Elle ouvrit les portes de la colonne bleue et examina l'intérieur en prenant le temps de bien distinguer l'emplacement de chacune des choses qu'elle contenait. Elle en sortit  une serviette jaune d'une assez grande épaisseur et la déposa délicatement sur la machine à laver le linge qui se trouvait tout à côté. Elle passa les mains dessus en guise de repassage afin de ne  laisser aucun pli. Elle saisit un instant le reflet de son regard dans le miroir et se dit qu'elle n'était pas comme les autres. Elle avait un visage éclatant de blancheur qui  contrastait avec la couleur ébène de sa chevelure. Elle se demandait souvent pourquoi ses parents avaient mis ce miroir à sa hauteur. Elle regarda longuement chacun de ses traits et elle se dit qu'elle n'avait quand même pas de chance. Pourquoi devait-elle souffrir et pas ses autres  copines? Elle enviait chaque jours ses camarades qui n'avaient pas de contrainte. Elle se demandait pourquoi Dieu l'avait dotée de tant de complications .Elle finissait par croire qu'elle devait être un exemple de courage et de sacrifice pour mériter cela.
Elle se ressaisit en pensant que bientôt tout cela serait terminé. Elle serait bientôt libre, légère. Son calvaire allait se terminer. Une autre vie pour elle pourrait commencer. Elle savait aussi qu'elle passerait par l'enfer des  injures,des coups et des larmes,mais la violence qu'elle supportait dans le silence était encore pire. Rien que de penser au geste qu'elle allait accomplir lui donnait des noeuds ,mais il la sauverait.
Elle se déshabilla et regarda son corps encore en pleine transformation. Elle chercha ensuite les instruments qui allaient servir à son acte. Elle ouvrit la trousse à pharmacie qui se trouvait sur la plus haute étagère,la déposa sur la serviette jaune. Elle en sortit un peigne, une crème grasse et la grosse paire de ciseaux. Elle observa cet objet long et coupant. Elle avait du mal à bien le tenir entre ses doigts car il était plutôt lourd. Elle le déposa sur la serviette jaune et rangea le reste  dans le meuble.
Elle se regarda comme cela une dernière fois. La maison était silencieuse. Pour se donner du courage,elle repensa à toutes les fois où elle avait eu mal. Toutes ces fois où des mains indélicates se posaient sur elle et la maltraitaient. Toutes ces fois où elle sentait son corps se raidir. Elle pensa aux jambes qui l'enchâssaient pour l'empêcher de fuir. Elle pensa à toutes les moqueries qu'elle subissait, toute cette honte de ne pas être comme les autres. Elle détestait sa mère, son père qui étaient responsables de ces moments de tortures puisque c'est eux qui l'avait fait naitre ainsi. Elle saisit la paire de ciseaux doucement, sourit à sa face et saisit très fermement sa tignasse. Oui une tignasse, pas vraiment une CHEVELURE. Elle écarta les ciseaux et coupa une mèche, puis deux puis trois. Son corps commençait à flotter. Elle acheva de se couper les cheveux. Il ne lui restait plus que deux centimètres. Le sol était recouvert d'un tapis de cheveux noirs. Elle se mit à rire d'un rire nerveux mais jouissif. Elle piétina ce tapis de toute ses forces. Son corps trépignait de joie à l'idée de ne plus supporter ce poids, cette masse qui l'empêchait d'être vue. Elle ramassa ses cheveux morts depuis longtemps et les enfouit dans un sac qu'elle ferma soigneusement. Elle rangea ses instruments et contempla son visage, radieux, léger, rayonnant et ouvert. Elle se doucha pour enlever les derniers poils qui lui piquaient encore le corps et se rhabilla d'une longue robe de nuit prune. Elle saisit le peigne et la crème grasse et les jeta à la poubelle.
La maison était toujours silencieuse et endormie. Les souliers dans le couloir toujours patients. Elle regagna sa chambre, s'allongea sur son lit et se remémora une dernière fois,  pour enfin oublier toutes les scènes quotidiennes  de coiffage que sa mère  lui avait infligées depuis tant années. C'était terminé la prison des jambes de maman, le peigne arrachant la racine du cheveu, les douleurs du cordon enroulé chaque soir pour désépaissir le cheveu, le foulard écrasant les filaments des cheveux de devant....et puis son père ne l'appellerait plus « mon tignasson »
Soraya souffla doucement .Li fet met[1], se dit-elle. Et  elle  s'endormit profondément.
Texte écrit en 2010 à partir des visuels de DEGAS



[1]    Ce qui est fait est mort! (expression arabe)
Degas