Je l'ai rencontré ce matin même dans
une sorte de salle conçue spécialement pour ce genre d'entretien. Une salle
scindée en deux par une grille. De part et d'autre de cette grille un comptoir
était installé, probablement pour y déposer ses coudes afin de permettre à nos
mains de contenir la tête de temps en temps ou bien de les cacher ; elles
nous trahissent si souvent, elles aussi.
Je l'ai vu, il me regardait avec un
air piteux. Il baissait souvent les yeux. Je ne le lâchais pas.
Par contre, j’attendais que lui cède.
Une minute, deux minutes après les
présentations, rien, il ne disait rien. Il était prostré. Après tout, il ne me
connaissait pas.
Je l'invitais à me parler.
J'insistais sur le fait que j'étais là pour l'écouter et surtout pour
comprendre. Puis brutalement sans prévenir il vociféra des insultes :
— Puis merde, fais chier, je l'ai
butée oui.
Après un long silence, il ajouta
qu'il avait du mal à expliquer son geste. Il était jeune, dans la fleur de
l'âge, la vie devant lui, comme il disait. Dans la seconde qui suivait son
regard se transformait, devenait glacial et hermétique, il était violent et ses
mains gesticulaient nerveusement. Dans ces moments il disait souvent « oui
je l'ai butée, mais c’est pas ça que je voulais faire ». Il voulait lui
montrer qui était l'homme, c'est tout. Je l'écoutais, impassible et attentive,
je le regardais sans abandonner une seconde ses yeux. Je voulais le lire,
extraire ses pensées, violer son inconscient.
Il lui arrivait de traverser des
moments d'accalmie, c'était des instants où l'un et l'autre pouvaient se
reposer.
À un moment, il se leva et fit des
pas dans la salle. Le garde bien évidemment arriva. Je le sommais par le regard
de rester à distance et d'être vigilant malgré tout. Il se passait quelque
chose. Cela dura 15 minutes, interminables minutes. Son va-et-vient continuel
finissait par laisser des traces sur le parquet déjà vieilli.
Il avait peur, de sa vie, pour sa vie
« elle est fichue maintenant » répétait-il convaincu. Il n'avait que
25 ans.
Il me demandait comment allaient ses
enfants, comme cela au milieu d'une phrase. Je le rassurais. Je lui demandais
de me raconter à nouveau dans quel état il était au moment de son acte. On
pouvait dire qu'il se sentait comme un malade à ce moment-là. Il avait cette
arme dans sa poche, tout contre son corps et il ne se rendait pas compte
qu'elle pouvait un être un instrument destructeur et capable de modifier des
destinées en quelques secondes. À des moments il savait qu'il aurait pu lui
même se tuer après cet assassinat, mais il se trouvait lâche... et il ne l'a
pas fait. Il poursuivit. Elle était belle, jeune, elle avait tout pour elle.
Il était 3 heures du matin selon lui,
il rentrait d'une soirée plutôt joyeuse, mais il n'ignorait pas qu'il avait bu.
Il précisa énergiquement qu'il ne supportait pas les remontrances d'une
merdeuse.
— Vous parlez de votre femme, lui
demandais-je
Il me répondit avec une agressive
rapidité.
— De qui alors ? On parle d'elle
non !!
— Oui, nous parlons de votre femme,
en effet.
Elle était morte, nous le savions
tous les 2.
Il voyageait dans cette salle, en
balançant tantôt des obscénités sur elle, tantôt des mots tendres. « Elle
n'avait pas à me dire que je n'étais pas un homme ».
Il était rentré à 3heures du matin,
saoul et armé. Il se souvint de cette date avec une précision compulsive.
C'était y a trois mois, deux jours et 7 heures avait-il renchéri, en regardant
l'horloge accrochée sur le mur, il jouissait presque de s'en souvenir. Il raconta
qu'elle l'avait attendu jusqu'à cette heure tardive de la nuit. Rien que cette
idée paraissait l'horripiler. Il disait souvent qu'il n'était plus un gosse et
qu'elle n'était pas sa mère. Il sonna à l'interphone donc, il y avait trois
mois, deux jours et 7 heures. Elle répondit d'après lui violemment via ses
lignes invisibles en le traitant de gamin et d'irresponsable, qu'il avait des
gosses à élever, une femme, et qu'elle en avait marre de l'attendre chaque soir
et supporter ses gamineries. Il insista sur le fait qu'elle lui dit tout cela
par l'interphone, des sons irréels et à la fois lointains. Elle ne voulut pas
l'ouvrir cette fois-ci. Il ne semblait pas supporter l'idée d'être à la rue « comme
un clochard, moi, un clochard !! » Grognait-il.
À partir de là, il ne se souvint plus
de rien.
Un bruit.
Une masse qui tombe dans un ralenti
interminable.
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