dimanche 26 février 2012

Mathilde

Le ciel s’obscurcit, l’orage menace, mais bizarrement Mathilde est sereine.
Appliquée, le sourire aux lèvres, elle frotte avec un torchon de cuisine rose la lame tranchante d’une feuille de boucher. Son visage laisse apparaître un léger rictus exprimant le plaisir d’une réussite. L’orage éclate soudainement comme une réponse à son plaisir sourd. Elle expire avec discrétion et repose délicatement sur la table son objet éclatant. Un éclair illumine son visage, qu’elle aperçoit en reflet sur le miroir en face d’elle. Elle se trouve belle, apaisée et vivante.
Elle s’approche doucement et sans bruit de ce miroitement et se met à parler à son image, comme à une autre personne.
— Tu es heureuse, on dirait ?
Pour répondre, elle plonge dans ses souvenirs pour rechercher les semblants d’émotions qu’elle avait éprouvées. Elle ne sait pas si elle est vraiment heureuse.
Mais elle ne ressent plus grand-chose de précis, sa mémoire s’était presque effacée. Seul cet objet prés d’elle, lui rappelle un certain bonheur indescriptible et plein, comme une sorte de jouissance sur laquelle elle ne peut pas mettre de mots.
Elle s’allonge sur le canapé, un peu fatiguée, serrant sa poitrine comme pour retenir son cœur, essoufflée, elle étend ses jambes et lève le pied en l’air sur le dossier. Elle fixe un de ces genoux sanglants, qui porte la trace d’une écorchure assez profonde. Elle n’a pas mal, elle ne se souvient pas du moment où elle s’est blessée. Ses souvenirs sont comme les éclats de cet orage, ponctuels, fugaces et éphémères. Elle veut qu’il pleuve, que ses souvenirs se déversent. Rien n’y fait. Elle sait juste que la feuille de boucher est importante pour elle. Elle continue à chercher dans sa mémoire des images, des sensations. 
Elle se rappelle un moment, et ne sait pas s’il appartient à sa vie ou à celle d’une autre : elle se trouvait dans un espace qui dégageait une forte odeur, ce qui la fit déguerpir rapidement. Ces bribes la mettent mal à l’aise.
Elle se voit aussi un cabas dans ses mains, traversant les ruelles d’une ville puis des champs, marchant d’un pas hypnotique dans un but précis, corps sans âme. Elle se demande si ce moment fait partie de la vraie vie ou bien d’un rêve.
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Ce matin elle s’était levée, pleine d’entrain, son amant avait passé une partie de la nuit dans ses bras. Mathilde est une femme passionnée, entière et l’amour est sa raison de vivre.
Elle avait rencontré Djalil au ranch de son père un dimanche matin. Elle s’en souviendra toute sa vie. Djalil était un nom en matière de chevaux. Il avait été fait appeler par le père de Mathilde, grand propriétaire de terre viticole dans l’Ouest Oranais, pour remplacer Roger, son gendre parti plusieurs mois pour des affaires urgentes en métropole. Quand Mathilde vit pour la première fois l’inconnu traverser son jardin pour se rendre dans le bureau de son père, elle fut béate, réjouie. Ses yeux ne se détachaient pas de cet homme qui marchait lentement, mais avec une concentration et une assurance certaine.  
Mathilde aime se souvenir de cette rencontre inespérée. Djalil lui parut beau, fort, son regard ténébreux et profond l’avait foudroyé. Il la voyait passer de nombreuses heures sous l’olivier de la cour à le regarder et elle ne manquait pas une occasion, à chacun de ses passages de lui envoyer des signaux, des appels de disponibilité. Elle n’était pas du genre à attendre son mari et elle savait que de toute façon son couple ne valait rien. Ce mariage était un mariage d’affaires et de convenances familiales qui avait permis à deux familles d’agrandir leur pouvoir terrien dans la région. Mathilde en avait plus qu’assez de cette vie sans passion et sans désir. Djalil ne paraissait pas indifférent aux yeux bleus de Mathilde, et malgré sa timidité, il n’a pas attendu un mois avant se succomber aux charmes de la jeune femme.
Elle et Djalil  avaient fait l’amour la première fois dans l’écurie, au milieu des bêtes, un jour où son père était allé en ville. Djalil savait que sa femme ne risquait pas de les surprendre, car elle vivait dans un douar à quelques kilomètres de là et elle ne pouvait pas sortir de la maison seule. Comme beaucoup de musulmans de sa génération, Warda n’était pas allée à l’école : ses parents considéraient que le français n’était pas leur langue et donc elle ne savait ni lire, ni écrire le français, pas même l’arabe !
La famille de Djalil était pauvre. Warda était une très belle et jeune femme. Le couple logeait avec la mère de Djalil. Une mère qui s’était retrouvée veuve il y a deux ans déjà. Leur maison était en terre, tout le monde vivait dans une seule pièce. Une sorte de mezzanine tenait lieu de couchage sous laquelle habitaient 2 vaches, un agneau, un âne et quelques poules : leurs seuls biens.
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Mathilde, la jambe à moitié en l’air, observe sa blessure et passe un doigt dans la bouche pour y déposer un peu de salive. Elle essuie délicatement le sang séché et remet le doigt à la bouche avec délectation comme pour savourer une victoire. Elle ne souffre pas, au contraire elle éprouve un sentiment apaisant, comme si elle venait de se soulager de quelque chose. La sueur sur son corps la plonge à nouveau dans les souvenirs de la nuit précédente, cette nuit torride avec Djalil, 6 mois après la première. Une nuit interminable, comme si c'eût été la dernière et que toutes les forces amoureuses et sexuelles du couple avaient fusionné. Djalil avait quitté son lit vers 2 heures du matin en lui soufflant avant de partir que c’était effectivement la dernière fois qu’ils se voyaient. Il avait aussi marmonnait que depuis trois jours, il était devenu papa. Mathilde silencieuse, toujours calme et sûre d’elle, s’était rendormie, mais pas avant, se souvient-elle soudain, d’avoir mis dans un cabas une feuille de boucher. Cabas qu’elle avait déposé au pied de son lit. Mais pourquoi ?
 L’orage dehors laisse place à la pluie qui tombe à verse. Elle passe plusieurs minutes à écouter les bruits des gouttes sur le bitume à l’extérieur quand soudainement elle se souvient, comme une giclée, d’un fracas de portes qui claquent : bruit qui se répète comme un leitmotiv dans sa tête ; puis des odeurs lui parviennent, le sperme de Djalil, la sueur perlant dans son corps. Elle frémit, laissant monter en elle des bouffées de chaleur inexplicables. Elle éprouve alors un sentiment de désordre et de mal-être. Mais pourquoi ?
Il est 10 heures 20 du matin. Elle se lève et se dirige en boitant vers la fenêtre, essuie de sa manche la buée sur la vitre et tente de retrouver ses esprits. D’autres souvenirs apparaissent par saccades, d’abord les bruits puis des cris… Elle se voit haletante, une force inexplicable la poussant vers les champs…
Elle se ressaisit et décide d’aller se faire un thé. La porte de la cuisine est restée ouverte. Au sol, remarque-t-elle en y entrant, gisent de grosses gouttes de sang, pâteuses et sombres. Elle regarde l’écorchure de son genou et finit par se rendre compte que ce sang ne lui appartient pas. Elle est surprise, cependant n’a pas peur. Mais pourquoi ?
Elle met à bouillir de l’eau et s’assoit sur le tabouret. Devant elle, elle a déposé le torchon avec lequel elle avait essuyé son couteau, celui-ci luit d’un éclat certain comme s’il n’avait jamais été utilisé. Pourtant elle sait que cet objet appartient à son père et qu’il s’en sert très régulièrement pour dépecer le cochon. Sur la gazinière, l’eau dégage de la vapeur et les bulles éclatent continuellement à la surface. Ses souvenirs se libèrent eux aussi, peu à peu.
La nuit dernière elle avait laissé partir Djalil, l’homme qu’elle aimait et avec qui elle rêvait de passer le reste de sa vie. Il venait pourtant de l’avertir qu’ils faisaient l’amour pour la dernière fois prétextant que maintenant il était papa et que cette relation n’était pas licite. Elle se remémore à présent les raisons qui l’ont poussée à ne pas le retenir. Il a raison : un indigène et une fille de colon ne peuvent se marier. Tout le monde le dit, tout le monde le sait. Mais elle a voulu croire le contraire. Peut-être même le croit-elle encore. Mais pourquoi pas ?
Peut-être a-t-elle été déçue par l’attitude trop raisonnable de son amant alors qu’elle se sent prête à tout braver pour vivre cette histoire hors du commun. Elle sait qu’il a raison, mais elle le trouve lâche. Lâche et petit, soudain. Mathilde plonge dans une confusion certaine, ses sentiments ambivalents l’entraînent au vertige, elle trébuche sur le tabouret, tombe sur le plancher, son corps lourd s’abat. Elle se met à crier, un cri de douleur intérieur, son corps reste là, sans bouger, quelques minutes, une éternité. Puis, son regard se pose sur la feuille de boucher qui est tombée elle aussi et se trouve dans son champ visuel. Elle ne bouge pas, regarde cet objet avec fascination.
Les images fusent dans son esprit, elle voit Djalil, son père, Roger, la terre, les champs, la course, les cris, le sang. Le sang de qui ?
Elle se relève, boite un peu, un fardeau lui pèse, cela se voit à sa démarche presque abattue. Elle stoppe net devant le miroir. Elle n’y reconnaît pas le visage beau et apaisé de tout à l’heure. Elle commence à avoir peur. Mais pourquoi ?
Elle regarde intensément ce reflet. Mathilde l’affirmée, Mathilde la passionnée, Mathilde la perfectionniste, fini. Mathilde-et-Djalil fini. Mais pourquoi ? La Mathilde cause toute seule maintenant, elle ne se reconnaît pas. Qui est cette femme ? La nuit dernière, son corps enveloppé dans celui de son amant et maintenant le vide, c’est à n’y rien comprendre. L’amour, la haine, l’amour la haine. C’est trop fort ! Elle saisit une photo de son père, posée sur le petit guéridon sous le miroir. Quel con celui-là aussi ! Elle l’aimait, l’avait mis au-dessus de tout. Djalil le lâche, le faux. Comment s’était-elle trompée à ce point ? Mais il le lui avait répété « comment être heureux quand tout est contre nous  ? Passer sa vie à résister, à aller contre courant, à quoi bon ! Un musulman, une fille de colon quand t’y penses, ça ne te viendrait même pas à l’esprit. Trop d’écart. Les blancs ont pris leur terre à un moment donné sans rien demander puis ils se sont installés chez eux comme si de rien n’était. Eux, ils ont été dépossédés, dénigrés, leur identité, leur langue et leur culture méprisées. Il a raison Djalil, c’est impossible. Revenons un peu sur terre : une fille de colon, un indigène : deux mondes.
Mais Djalil l’indigène est un homme beau, fort, amoureux et passionné, sensible et tendre. Comparé à Robert, cette brute sans intégrité profonde, c’est un seigneur ! Quand est-ce que les choses changeront ? se dit Mathilde : suffit ce discours d’abandon ! Bats-toi, Mathilde ! L’amour doit gagner. Elle le sait pourtant, elle se le répète souvent.
Ça y est, ça revient, subitement, comme une giclée des sens : elle se souvient de presque tout. Le cabas, la feuille de boucher de son père, le sang partout. Les cris lointains pendant sa course folle dans les champs.
Elle l’a fait, oui ce crime. Peut-être qu’il va réagir à présent, voir qu’elle l’aime, qu’elle est prête à tout pour le garder. Puis un frisson la traverse, elle l’a fait, oui ;  pour garder Djalil ou par défi ? Par dépit ? Mais pourquoi ?
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Elle se souvient. Elle s’était levée à l’aube, s’était lavée, habillée, coiffée machinalement. Elle avait pris son cabas posté au pied de son lit. Elle faisait tout cela avec des gestes lents, maîtrisés, sereins. Puis elle était sortie.
Ses pas battaient le ressac avec une cadence contrôlée, certaine et déterminée. Elle le savait, les choses devaient bouger. Elle marcha longuement sur les chemins, traversant sentiers, bois, et rivière. Une heure de concentration et d’obstination : elle irait jusqu’au bout. Il ne fallait pas se laisser déstabiliser, mais croire ; croire que les choses changeraient, c’est tout ce qui comptait pour elle. Elle l’aimait.
Elle ferait cela par amour.
Ses pas se rapprochaient de la cabane de Djalil et elle ralentit puis s’installa derrière une haie de figuiers de barbarie. Le moment venu, elle foncerait et ferait ce qu’elle a à faire. De légers gémissements de nouveau-né provenaient de la cabane. Warda, l’épouse de Djalil  était dehors, accroupie, devant l’entrée, occupée à faire des galettes de bouses de vache pour servir de combustible. Mathilde vit la grand-mère sortir et s’éloigner sur le chemin qui descendait : tous les matins, elle allait chercher des légumes dans le potager qui se trouvait à moins d’un kilomètre plus bas.
Mathilde avait une formation d’infirmière et occupait son temps à soigner les personnes malades qui n’avaient pas les moyens de consulter, principalement les femmes qui refusaient de se faire ausculter par des médecins hommes. Elle sillonnait la campagne et connaissait très bien les habitudes de ces gens qui se confiaient beaucoup à Mathilde.
Son cabas à ses pieds, elle saisit son couteau, en serre très fort le manche et pense à son amant, à la nuit dernière. À nouveau son corps frémit. Les mots de Djalil, avant de la quitter cette nuit, résonnent dans sa tête comme un leitmotive : “ma femme vient d’avoir un bébé, on doit arrêter de se voir, c’est fini, fini”. Des images foisonnent, ronronnent. Elle voit son amoureux faisant l’amour à cette femme.
Des minutes passèrent encore, dans le silence. Elle saisit l’image de cet enfant qui devient pour elle la raison de leur rupture : “Cet enfant va nous séparer”, pense-t-elle très fort. Il est là, à l’intérieur, il doit dormir maintenant puisque les gémissements se sont arrêtés. La maison de Djalil était assez éloignée des autres habitations. Tout autour, les figuiers de Barbarie dessinaient des barrières, épineuses. Mathilde devait attendre que Warda s’éloigne de la maison pour agir. Elle saisit de ses doigts protégés par sa manche, une de ces figues et avec soin, retira la peau avec son objet tranchant. Elle mangea le fruit intégralement et essuya sa bouche avec le bas de son gilet. Malgré ses précautions, une épine entra dans sa peau. Elle saigna un petit peu et suça son doigt sans faire de bruit.
Elle ne lâcha pas des yeux les mouvements de Warda qui pétrissait sa pâte, toujours accroupie. Elle scruta longuement son visage, observa attentivement chaque sillon de sa peau, chaque expression en s’imaginant le visage de cette belle jeune femme au moment de jouir, quand elle avait fait l’amour avec Djalil. Mathilde souffrait de ces images de scènes d’amour qui s’imposaient à elle. Elle maudit cet enfant.
Elle cracha par terre le sang qu’elle venait d’avaler, un sang amer au goût de la mort.
Elle aurait voulu porter cet enfant ; être la mère. Elle aurait voulu enfanter le fruit de leur amour ; être la femme de Djalil. Mais non, elle n’était que la blanche, la bonne à soigner, à panser, à baiser. Elle était la blanche, l’intrusive, la civilisatrice. Elle était la blanche, la sainte. Deux mondes qui ne se croisent pas, qui se côtoient, mais ne s’unissent pas. Elle pensait pourtant à ce sperme qu’elle transportait encore dans son corps… Mélange adipeux : chacun sa vie, chacun sa culture. On peut donner son sperme, mais pas sa vie. Le plaisir reste, l’amour aussi, mais vivre avec une blanche comme disait Djalil, “impossible” !
Warda avait fini sa tâche et se leva. Mathilde ne la lâcha pas du regard, car il fallait agir vite.
La femme de Djalil se dirigea vers la maison, y entra sans bruit et en sortit quelques minutes plus tard avec un grand tissu. Elle se dirigea vers la forêt, tous près, d’un pas lent et las, faut dire qu’elle était encore en couches. Elle allait chercher du foin dans l’abri sous les bois. Mathilde tendit l’oreille, observa avec attention et concentration les alentours pour vérifier que tout autour d’elle, personne ne la voyait. Des vols d’oiseaux dans le bosquet se firent entendre à l’approche de Warda, et c’est ce moment-là que Mathilde choisit pour agir. Elle saisit son arme, se mit à courir habilement et discrètement dans la direction de la maison et entra. Elle parcourut du regard le lieu pathétique, huma cette odeur désagréable d’étable et se dirigea vers la mezzanine. Au-dessus les planches, dormait le nouveau-né. En  dessous des animaux mangeaient du foin. Elle regarda longuement le bébé et fut saisie de douleur. Un étau se serra dans la poitrine, une douleur violente qui la terrorisa. Alors, elle se lança sur le petit agneau qui allait bientôt être tué pour la fête de la naissance de leur enfant, éleva sa feuille de boucher avec ses deux mains pour donner de la puissance à son geste, et lui trancha la tête d’un coup violent et sec. La tête s’écroula au sol et le corps de l’agneau continuait de bouger… Mathilde  venait de se venger sur cet agneau innocent, symbole d’un sacrifice qu’elle devait faire pour ne pas sombrer dans la folie.  
 Le bruit énerva les autres bêtes qui gesticulaient dans tous les sens. Leurs mouvements renversèrent les planches fragiles qui servaient de cloisons entre la cuisine et l’espace des bêtes. Le vacarme réveilla le bébé qui se mit à hurler. Mathilde sentait les limites : celles de son amour, de son corps. Après son geste, une violente secousse s’empara d’elle. Elle serra de plus belle sa feuille de boucher et d’un geste brusque s’entailla accidentellement le genou. Le sang pissait le long de sa jambe. Elle ne sentait pourtant aucune douleur. Elle était comme anesthésiée.
Elle ne savait plus quoi faire, le sang giclait sur elle et d’elle, comme cette nuit, le sperme de Djalil dans son corps…. Des larmes jaillirent de ses yeux rouges — sang, elle sortit et se mit à courir, courir, sans s’arrêter, son arme à la main. Elle n’essaya pas de se retourner aux cris stridents de Warda qui avait découvert le massacre. Elle était déjà loin.               
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Mathilde court, court de toutes ses forces. De son corps tombent d’énormes gouttes de sueur et de sang. Elle sent son corps se débarrasser d’un poids. Dans sa course folle et effrénée, elle pense à sa libération. Elle vient de s’affranchir d’une folie certaine. Elle sent ses jambes reprendre des forces. Etonnement, elle se sent bien. Elle traverse rivières et bois pour rentrer chez elle, dans son chez-soi où... elle va pouvoir rêver cette dernière nuit avec Djalil, sans menace.
Sans menace ?
Des nuages noirs approchent au loin. Le ciel s'obscurcit, l'orage va éclater.

lundi 6 février 2012

Hommage

L'arbre Père
PRÉMONITIONS

Rêves. Je rêve de lui, mon père,
Allongé sur son lit blanc défait.
Je rêve de lui,
Des semaines sans mots
Chacun quêtant la vie dans ses mouvements
Va t-il partir ?
La poursuite de sa vie avec nous est-elle encore envisageable ?

Rêves prémonitoires, une nuit.
Je rêve qu’il m’avertit
De la descente imminente vers l’autre monde.
M’avertir. Pourquoi moi ?
Rêve.
Mise en branle de la suspension du temps pour passer du temps avec lui
Main dans sa main encore chaude de son sang chaud
Douceur des doigts qui ne veulent bouger qu’aux impulsions des paupières
Voix qui doit s’élever pour nous dire au revoir
Il se retient
Attend

Mes rêves s’animent,
Père sur un lit blanc d’hôpital cerné de feuilles
Les mots légers arrivent, s’élancent, s’accrochent aux branches défaites de ses phrases
Il parle, s’émeut, son regard jaillit dans l’écorce
L’arbre pleure, se nourrit de paroles
N’est-ce qu’un rêve ?
Réponse intérieure
Dans le silence des mots sans fin

Réalité, réalité hélas.
La libération est toute proche
Il attendait l’autorisation de partir, de se détacher
Voix tremblante
Les mots sortent de sa bouche
Mots neufs et précieux

Ricochets sur le lac glacé
Il s’était accroché aux ondulations du temps
Dernières saccades
Les feuilles virevoltantes dans la légèreté
De l’arbre enraciné…

jeudi 2 février 2012

Algérêves

...

Loin, loin, loin, son regard s'égare souvent. Condamné à rêver. L'envie fait vivre.
Petit garçon tournant le dos au présent et de sa lunette vise la mer et sa fin. Entre temps, entre ces espaces, il a le sport pour faire vibrer ses élans. Croire, vivre, en-croire, envie. Courir et attraper le rêve. Quotidien de ces gamins. S'échanger la balle, la manipuler, faire d'elle ce qu'on en veut, saisir un faux avenir. Pas de travail... pas de bonheur. Le ballon, la Terre. Ils veulent s'en saisir et croire qu'ils ont leur part à donner sur Terre. Ils se le lancent, le lance, imaginant qu'il va revenir. Ils se le passent par empathie. Gagner. Quoi, du terrain? Gagner sa place? Prouver son identité? Prouver son existence et sa possible valeur? Gagner, être bon, démontrer... Être un homme qui crée, qui apporte quelque chose, un petit bonheur. Ne pas être rien. Courir après le ballon, gagner une image, comme récompense. C'est important. Puis l'enfant grandit, le terrain rétrécit.
Si peu de place sur ce terrain. Ils courent, ils courent toujours sur le même sol. Un peu de bonheur à échanger. La misère ensemble, c'est moins pire. Empathie.