Hommage (entre autre) au lac vert de mon enfance |
Le
Lac Vert, de l'autre côté de la colline. Comme un trésor caché Mario adorait
traverser la ville pour y aller.
Voyage.
Il
se levait chaque matin à l'aube, pour être le premier.
Ce
matin, il pleuvait. Ses petits pieds trottinaient paisiblement. La pluie était
douce et caressait sa peau comme une douche fraîche dans la chaleur de cet été
brûlant. Les rues étaient désertes, ses pas résonnaient contre les parois des
murs transpercés de portes et de fenêtres fermées et renforcées de barreaux
noirs massifs.
Lui
marchait dans la rue en sautillant sur les flaques et tournoyait dans le vent.
Son
regard s'arrêtait quelquefois sur l'une d'elles et il souriait.
Miroir.
L’approche de la gouttière correspondait à la
moitié du voyage, Mario commença son chant du matin en sifflant : les
chats arrivèrent. Il cherchait Susie, Rama, Jésus et Thalia. C'était ses
préférés. Il adorait s'amusait avec eux. Dans un petit sac en plastique, il
renfermait des morceaux d'arêtes de son repas de la veille : il les leur
lança. Les chats sautèrent de joie.
Partage.
Mario
vivait au bord d'une merveilleuse rivière ombragée d'arbres majestueux. Son
père pêchait tous les jours le poisson.
Une
porte grinça derrière lui. Il se retourna et aperçut une dame qui portait un
bébé et qui essayait péniblement de faire sortir la poussette de la porte.
Mario se précipita pour la lui tenir. À dix ans, entouré de petits comme il
l’était dans son lieu de vie il avait de ces attentions… mais le bébé face à un
visage inconnu se mit à hurler. La maman se retourna. Un petit éclair, éclatant
dans le ciel et obscurcissant davantage l'atmosphère, illumina le visage sombre
de la dame. Se méprenant sur les intentions de Mario, elle le poussa.
Bousculade.
Mario
glissa et tomba au sol. Il se releva et partit en saisissant son sac plastique.
Il
longea un muret où était entreposée soigneusement une poubelle neuve et propre
qui attendait d'être vidée. Il s'en approcha et l'ouvrit. Il y trouva un
morceau de tissu rouge qu'il porta à ses narines, en fermant les yeux. Il vit
sous ses paupières, un tourbillon de couleurs et entendit de la musique dans
son corps. Alors il plia le tissu et le fourra dans la poche de son veston
jaune, un sourire aux lèvres. Dans la poubelle, il ramassa aussi de vieilles
clés rouillées, une cuillère en bois, une vieille lampe de poche en morceau,
une poupée démembrée, un briquet vide, deux fourchettes en métal assez neuves,
une paire de lunettes sans vitres (qu’il rangea dans son sac) et un balai
cassé : il l'enfourcha et galopa en sautillant en tournant autour des
arbres en fleur de la place du marché.
Marché
vide.
Mais
il était content de ses trouvailles.
Il
grimpa sur l'abricotier qui poussait sur la place et saisit une fleur qu'il
déposa soigneusement au-dessus de sa pile d'objets.
Il
leva la tête, regarda le ciel et but une gorgée de pluie. De sa langue il fit
un bruit de plaisir.
Eau
bénite.
Sur
son cheval, il sillonnait les dalles froides du sol en béton en voltigeant tel
un écuyer majestueux quand il stoppa brutalement. Face à lui se dressait un
chien errant, sale, maigre et sans collier. Il s’approcha de lui, essaya de le
caresser. Le clébard le laissa faire. Mario fit des mouvements de gauche à
droite pour jouer avec lui : le chien sauta sur lui et le lécha
longuement. Les rires de Mario firent sourire le balayeur de rue qui déblayait
le passage pas très loin.
Clin
d’œil.
Les
deux amis s’en allèrent.
Il
était 9 heures du matin, les premiers passants, baguette à la main filaient à
une vitesse grande V aveuglés par le petit crachin qui tombait du ciel. Mario
fut à nouveau bousculé par un homme qui ne s’excusa pas, mais s’essuya le bras.
Mario
serrait de plus en plus fort son cheval en bois et se mit à siffler le chien
qui s’était mis à suivre l’homme en aboyant. Ça ne valait pas la peine… Tous
deux se mirent à courir vers le paradis de Mario, ce Lac Vert mystérieux. Des
images plein la tête, il chantonna un air que son père fredonnait à longueur de
journée et fit le reste du voyage en chanson. Le chien remuait sa queue de
plaisir.
Mario
s’arrêta net quand il entendit le son d’un violon qui sortait d’une des
fenêtres d’un vieil immeuble. Il plongea la main dans sa poche et en sortit un
harmonica à moitié écrasé. Il souffla péniblement dedans pour accompagner cette
mélodie pleine de couleurs. Au même moment un manège commença à tourner.
Musique.
Enfin
il arriva à la sortie de la ville. Une colline se dessinait au loin. Il se mit
à courir sur cette terre enrichie d’eau et d’arbres sauvages, le chien le
suivait toujours, la queue titillante de bonheur. Un ballet d'oiseaux le
suivait dans le ciel. Mario, son sac et son bâton à la main, criait de
ravissement, improvisant dans une langue chaleureuse et musicale : il allait
enfin cueillir ses trésors dans la solitude d’un matin, après un long voyage
migratoire.
Il
parcourut les derniers mètres avant la première colline, et s’arrêta avant de
l’escalader. Il reprit son souffle, admira ses pieds qui trempaient dans la
boue et commença l’ascension. Il se sentait comme transporté quand il aperçut,
arrivé au sommet, une autre montagne séparée de lui par ce qu’on appelait le
Lac vert, un petit cours d’eau quasiment asséché avec le temps : il le
traversa, pour rejoindre enfin son paradis.
Là,
devant lui, au pied de la deuxième colline, se dressait une colossale butte de
trésors éclectiques dont les gens ne voulaient plus : il y avait là, pneus
usés, tôles cassées, bouteilles d’eau vides, bout de bois, vieux tissus, bombes
de peintures, morceaux de biclous, du béton, des ordinateurs éventrés, des
aérosols, du carton, des vieux meubles sans vie, des vêtements en boules usés…
Mario était doublement heureux, car il était seul, personne pour le gêner dans
sa quête. Il saisit de son bâton un vieux panier en osier à moitié déchiré,
trouva un bout de corde dans cet amas et confectionna des anses pour
transporter ses accumulations. La pluie venait de s’arrêter. Les nuages noirs
remontaient dans le ciel. Il escalada sa montagne et plongea son bâton pour y
récupérer les choses qu’il recherchait. Il resta là une heure, à fouiller,
triturer le ventre de cette éminence. Satisfait de ces découvertes, il
redémarra, son panier plein sur le dos, attaché par les cordes, derrière lui le
chien libre, la queue en joie.
Fidèle.
Il
prit alors le chemin du retour.
Après
une demi-heure de marche assez rapide à travers la ville, Mario et son
compagnon arrivèrent tous à proximité d’un petit pont moisi, branlant. Un
chemin de terre s’offrait à eux, dessinant sur le sol des bosses : on
l’appelait chemin de l’errance. Un panneau marquait une frontière interdite,
aux abords d’une jolie rivière. Ils se faufilèrent à travers une sorte de
rideau de feuillages et d’arbres majestueux et magnifiques. À leur arrivée, des
cris de joie se firent entendre, deux petites filles sourire radieux aux dents
écartées du bonheur, s’empressèrent de se jeter sur le panier de Mario. Après
avoir récupéré sa fleur, Mario renversa
ses trouvailles à même le sol. Il saisit ensuite son petit sac en plastique et
en tria les objets, gardant ses préférés. Les deux filles se disputèrent le
reste du butin. Lui, siffla le chien et s’éloigna saluant un vieux monsieur
avec un chapeau qui fumait une pipe, assis au pied de sa maison en carton.
Pirouette
cacahuètes.
Le
linge trempé croulait sur le sol boueux. À côté de l’homme, un enfant à moitié
nu mangeait des chips, souriant. Un pneu usé, un vieux tapis trempé, un morceau
de carrosserie de voiture, des bouteilles d’eau vides, des bouts de bois
jonchaient le sol, Mario houspilla à nouveau le chien qui traînait derrière et
se dirigea vers une cabane en bois au toit en tôle rouillée. Une femme se
tenait, souriante à l’embrasure d’une entrée sans porte, le dos contre le mur.
Elle portait une longue robe de velours rouge au bas orné de dentelles beige.
Sa chevelure était longue et noire comme une crinière de cheval. Mario
s’approcha d’elle, et lui ajusta la fleur derrière son oreille. Puis il fouilla
dans sa poche et en sortit une étoffe qu’il lui tendit. Elle lui prit les
mains, traça le chemin de ses lignes de vie de son index puis l’embrassa tout
en caressant le velours. Mario enfouit
sa tête dans le creux de son sein et s’endormit de fatigue.
Il
fut réveillé après plusieurs heures par la musique qui doucement entrait dans ses petites oreilles.
Violons.
Sa
maman l’avait installé à même le sol dans l’abri familial sur un tapis sec, une
vieille couverture de laine sur les épaules. Son sac en plastique était contre
lui, il l’ouvrit. Il posa délicatement chaque petit bout des ferrailles qu’il
avait choisies dans sa chasse au trésor. Il nettoya chacune des pièces
soigneusement et les disposa en ligne adroitement. Il se leva et poussa un
vieux meuble en métal qui était posé sur une antique planche en bois. Il
souleva la planche et récupéra une boîte à chaussure. Il retourna sur le tapis
où se trouvaient ses bouts de fers. Dans la boîte se trouvaient un patchwork de
fers collés les uns à côté des autres formant une sorte d’avion en devenir,
puis de la colle que son père lui avait achetée pour son anniversaire. Le chien
entra dans la pièce, s’installa tout à côté de lui sur ses deux pattes et
l’observa. Mario le caressa et il se mit à aplatir avec une grosse pierre
chaque bout de métal. Il colla patiemment, pendant des heures, tous les
morceaux les uns aux autres et souffla longtemps dessus pour que cela sèche
plus vite. Plus que quelques bouts d’aciers et son avion pourrait enfin partir.
Voyager.
Le
soleil était réapparu comme une boule au loin, avant sa chute dans l’horizon lointain.
Un avion traça une ligne blanche qui peu à peu s’effaçait.
Dehors
les violons s’étaient tus.
la lac vert, mario, le lac vert
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