jeudi 30 mai 2013

MaRio

Hommage (entre autre) au lac vert de mon enfance



Le Lac Vert, de l'autre côté de la colline. Comme un trésor caché Mario adorait traverser la ville pour y aller.
Voyage.

Il se levait chaque matin à l'aube, pour  être le premier.
Ce matin, il pleuvait. Ses petits pieds trottinaient paisiblement. La pluie était douce et caressait sa peau comme une douche fraîche dans la chaleur de cet été brûlant. Les rues étaient désertes, ses pas résonnaient contre les parois des murs transpercés de portes et de fenêtres fermées et renforcées de barreaux noirs massifs.
Lui marchait dans la rue en sautillant sur les flaques et tournoyait dans le vent.
Son regard s'arrêtait quelquefois sur l'une d'elles et il souriait.
Miroir.
         
 L’approche de la gouttière correspondait à la moitié du voyage, Mario commença son chant du matin en sifflant : les chats arrivèrent. Il cherchait Susie, Rama, Jésus et Thalia. C'était ses préférés. Il adorait s'amusait avec eux. Dans un petit sac en plastique, il renfermait des morceaux d'arêtes de son repas de la veille : il les leur lança. Les chats sautèrent de joie.
Partage.
Mario vivait au bord d'une merveilleuse rivière ombragée d'arbres majestueux. Son père pêchait tous les jours le poisson.

Une porte grinça derrière lui. Il se retourna et aperçut une dame qui portait un bébé et qui essayait péniblement de faire sortir la poussette de la porte. Mario se précipita pour la lui tenir. À dix ans, entouré de petits comme il l’était dans son lieu de vie il avait de ces attentions… mais le bébé face à un visage inconnu se mit à hurler. La maman se retourna. Un petit éclair, éclatant dans le ciel et obscurcissant davantage l'atmosphère, illumina le visage sombre de la dame. Se méprenant sur les intentions de Mario, elle le poussa.
Bousculade.
Mario glissa et tomba au sol. Il se releva et partit en saisissant son sac plastique.

Il longea un muret où était entreposée soigneusement une poubelle neuve et propre qui attendait d'être vidée. Il s'en approcha et l'ouvrit. Il y trouva un morceau de tissu rouge qu'il porta à ses narines, en fermant les yeux. Il vit sous ses paupières, un tourbillon de couleurs et entendit de la musique dans son corps. Alors il plia le tissu et le fourra dans la poche de son veston jaune, un sourire aux lèvres. Dans la poubelle, il ramassa aussi de vieilles clés rouillées, une cuillère en bois, une vieille lampe de poche en morceau, une poupée démembrée, un briquet vide, deux fourchettes en métal assez neuves, une paire de lunettes sans vitres (qu’il rangea dans son sac) et un balai cassé : il l'enfourcha et galopa en sautillant en tournant autour des arbres en fleur de la place du marché.
Marché vide.
Mais il était content de ses trouvailles.

Il grimpa sur l'abricotier qui poussait sur la place et saisit une fleur qu'il déposa soigneusement au-dessus de sa pile d'objets.
Il leva la tête, regarda le ciel et but une gorgée de pluie. De sa langue il fit un bruit de plaisir.
Eau bénite.

Sur son cheval, il sillonnait les dalles froides du sol en béton en voltigeant tel un écuyer majestueux quand il stoppa brutalement. Face à lui se dressait un chien errant, sale, maigre et sans collier. Il s’approcha de lui, essaya de le caresser. Le clébard le laissa faire. Mario fit des mouvements de gauche à droite pour jouer avec lui : le chien sauta sur lui et le lécha longuement. Les rires de Mario firent sourire le balayeur de rue qui déblayait le passage pas très loin.
Clin d’œil.
Les deux amis s’en allèrent.

Il était 9 heures du matin, les premiers passants, baguette à la main filaient à une vitesse grande V aveuglés par le petit crachin qui tombait du ciel. Mario fut à nouveau bousculé par un homme qui ne s’excusa pas, mais s’essuya le bras.
Mario serrait de plus en plus fort son cheval en bois et se mit à siffler le chien qui s’était mis à suivre l’homme en aboyant. Ça ne valait pas la peine… Tous deux se mirent à courir vers le paradis de Mario, ce Lac Vert mystérieux. Des images plein la tête, il chantonna un air que son père fredonnait à longueur de journée et fit le reste du voyage en chanson. Le chien remuait sa queue de plaisir.

Mario s’arrêta net quand il entendit le son d’un violon qui sortait d’une des fenêtres d’un vieil immeuble. Il plongea la main dans sa poche et en sortit un harmonica à moitié écrasé. Il souffla péniblement dedans pour accompagner cette mélodie pleine de couleurs. Au même moment un manège commença à tourner.
Musique.

Enfin il arriva à la sortie de la ville. Une colline se dessinait au loin. Il se mit à courir sur cette terre enrichie d’eau et d’arbres sauvages, le chien le suivait toujours, la queue titillante de bonheur. Un ballet d'oiseaux le suivait dans le ciel. Mario, son sac et son bâton à la main, criait de ravissement, improvisant dans une langue chaleureuse et musicale : il allait enfin cueillir ses trésors dans la solitude d’un matin, après un long voyage migratoire.
Il parcourut les derniers mètres avant la première colline, et s’arrêta avant de l’escalader. Il reprit son souffle, admira ses pieds qui trempaient dans la boue et commença l’ascension. Il se sentait comme transporté quand il aperçut, arrivé au sommet, une autre montagne séparée de lui par ce qu’on appelait le Lac vert, un petit cours d’eau quasiment asséché avec le temps : il le traversa, pour rejoindre enfin son paradis.
Là, devant lui, au pied de la deuxième colline, se dressait une colossale butte de trésors éclectiques dont les gens ne voulaient plus : il y avait là, pneus usés, tôles cassées, bouteilles d’eau vides, bout de bois, vieux tissus, bombes de peintures, morceaux de biclous, du béton, des ordinateurs éventrés, des aérosols, du carton, des vieux meubles sans vie, des vêtements en boules usés… Mario était doublement heureux, car il était seul, personne pour le gêner dans sa quête. Il saisit de son bâton un vieux panier en osier à moitié déchiré, trouva un bout de corde dans cet amas et confectionna des anses pour transporter ses accumulations. La pluie venait de s’arrêter. Les nuages noirs remontaient dans le ciel. Il escalada sa montagne et plongea son bâton pour y récupérer les choses qu’il recherchait. Il resta là une heure, à fouiller, triturer le ventre de cette éminence. Satisfait de ces découvertes, il redémarra, son panier plein sur le dos, attaché par les cordes, derrière lui le chien libre, la queue en joie.
Fidèle.
Il prit alors le chemin du retour.

Après une demi-heure de marche assez rapide à travers la ville, Mario et son compagnon arrivèrent tous à proximité d’un petit pont moisi, branlant. Un chemin de terre s’offrait à eux, dessinant sur le sol des bosses : on l’appelait chemin de l’errance. Un panneau marquait une frontière interdite, aux abords d’une jolie rivière. Ils se faufilèrent à travers une sorte de rideau de feuillages et d’arbres majestueux et magnifiques. À leur arrivée, des cris de joie se firent entendre, deux petites filles sourire radieux aux dents écartées du bonheur, s’empressèrent de se jeter sur le panier de Mario. Après avoir récupéré sa fleur, Mario  renversa ses trouvailles à même le sol. Il saisit ensuite son petit sac en plastique et en tria les objets, gardant ses préférés. Les deux filles se disputèrent le reste du butin. Lui, siffla le chien et s’éloigna saluant un vieux monsieur avec un chapeau qui fumait une pipe, assis au pied de sa maison en carton.
Pirouette cacahuètes.
Le linge trempé croulait sur le sol boueux. À côté de l’homme, un enfant à moitié nu mangeait des chips, souriant. Un pneu usé, un vieux tapis trempé, un morceau de carrosserie de voiture, des bouteilles d’eau vides, des bouts de bois jonchaient le sol, Mario houspilla à nouveau le chien qui traînait derrière et se dirigea vers une cabane en bois au toit en tôle rouillée. Une femme se tenait, souriante à l’embrasure d’une entrée sans porte, le dos contre le mur. Elle portait une longue robe de velours rouge au bas orné de dentelles beige. Sa chevelure était longue et noire comme une crinière de cheval. Mario s’approcha d’elle, et lui ajusta la fleur derrière son oreille. Puis il fouilla dans sa poche et en sortit une étoffe qu’il lui tendit. Elle lui prit les mains, traça le chemin de ses lignes de vie de son index puis l’embrassa tout en caressant le velours. Mario  enfouit sa tête dans le creux de son sein et s’endormit de fatigue.
Il fut réveillé après plusieurs heures par la musique qui doucement entrait dans ses petites oreilles.
Violons.
Sa maman l’avait installé à même le sol dans l’abri familial sur un tapis sec, une vieille couverture de laine sur les épaules. Son sac en plastique était contre lui, il l’ouvrit. Il posa délicatement chaque petit bout des ferrailles qu’il avait choisies dans sa chasse au trésor. Il nettoya chacune des pièces soigneusement et les disposa en ligne adroitement. Il se leva et poussa un vieux meuble en métal qui était posé sur une antique planche en bois. Il souleva la planche et récupéra une boîte à chaussure. Il retourna sur le tapis où se trouvaient ses bouts de fers. Dans la boîte se trouvaient un patchwork de fers collés les uns à côté des autres formant une sorte d’avion en devenir, puis de la colle que son père lui avait achetée pour son anniversaire. Le chien entra dans la pièce, s’installa tout à côté de lui sur ses deux pattes et l’observa. Mario le caressa et il se mit à aplatir avec une grosse pierre chaque bout de métal. Il colla patiemment, pendant des heures, tous les morceaux les uns aux autres et souffla longtemps dessus pour que cela sèche plus vite. Plus que quelques bouts d’aciers et son avion pourrait enfin partir.
Voyager.

Le soleil était réapparu comme une boule au loin, avant sa chute dans l’horizon lointain. Un avion traça une ligne blanche qui peu à peu s’effaçait.
Dehors les violons s’étaient tus.

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