Voeux brûlants |
C’est vendredi soir, le début du week-end, j’étais presque sure
que cela arriverait pendant un moment important de la semaine et non pas entre
deux portes au moment de la pause café, avec ce va-et-vient des gens qui me donnerait
l’impression d’une indifférence que je ne supporterais pas. Ma vie est courte
je le sais alors autant la vivre avec intensité.
J’attends depuis déjà deux heures dans ce sas, je perçois le
jour assez régulièrement pour voir mes camarades vivre leur vie, enfin. Mon
tour viendra, j’en suis sur. J’ai beaucoup voyagé, vécu des transformations
importantes dans mon existence et je sais que mon rêve va se réaliser quoi
qu’il advienne. On rêve tous. Même cette femme qui m’a prise par hasard un
jeudi.
Nous ne sommes plus que deux à attendre. Je suis à l’aise à
présent, il y a de l’espace. Je rêve assez souvent d’une autre vie, peut-être
dans d’autres contrées avec d’autres coutumes et d’autres langues, ma vie serait
peut-être plus longue si j’avais vécu à Cuba, qui sait. J’accepte ma destinée
et mon rôle aussi. Je sais que j’ai été conçu pour rien, juste pour donner du
plaisir.
Ce soir c’est mon tour d’intervenir, de montrer mon
existence dans son intensité la plus totale. Parmi les convives, je suis
préparée et prête à tout entendre et tout donner. Je suis en première loge,
faut croire que mon élégance et ma taille longiligne séduit beaucoup de monde. Je
sais que je n’ai pas beaucoup de conversation, que je suis assez soumise et envahissante,
mais je sais me faire sentir et entrainer les autres. Cela fait partie du jeu.
Ce soir le cercle est restreint, quelques camarades d’une
autre école sont là à partager le petit bout d’existence qui fait de nous une
communauté, finalement. Je sais que je suis utile pour elle, cette femme qui
m’a choisi pour accompagner sa vie, ses moments de détente ou de stress pour mourir
même peut-être. La conversation tourne autour du plat que dégustent les
convives, pas très passionnant et surtout c’est un sujet avec lequel je rentre
facilement en rivalité. Moi je n’aime pas les odeurs, il n’y a que la mienne
qui m’intéresse et celles de mes camardes. J’aime me mélanger aux odeurs qui me
ressemblent. Vous allez trouver que je suis raciste, oui, peut-être !
Cette femme me tient le bras, me respire quelquefois avec
sensualité, je suis folle de bonheur de savoir que j’ai été choisi par une
élégante main, un sourire radieux et une bouche pulpeuse d’où sort de belles
paroles douces et enivrantes. Je sais aussi que j’ai ce pouvoir-là, de l’exciter
et de la rendre maitresse de moi, enfin au moi pour cette soirée. Je suis
prétentieuse et dangereuse aussi. Elle doit le savoir, si je suis là !
Parfois, suis tranquille à entendre mon tour sur le cercle
des cendres de l’existence qui se gonfle au fil du temps qui passe. La Terre
est froide pour moi quand elle me laisse seule, même si mon corps boue sans
arrêt. Je déguste les relents de parfums, d’odeurs de plats, de transpiration,
de boisson alcoolisée… je n’étouffe pas non, j’aime sentir que je participe à
l’éteinte de l’espèce et je jouis de le vivre dans la jouissance de l’autre. Pourtant,
cette femme sait que sa vie est entre mes mains, mais elle croit que c’est elle
qui me tient entre les siens. C’est faux et c’est là toute la subtilité. Faire
croire aux gens qu’ils choisissent, qu’ils maitrisent leur vie alors qu’ils
sont manipulés.
Ils sont naïfs, elle aussi, mais c’est son choix. Elle m’a choisi
avec d’autres pour éteindre son existence, j’ai été embauché pour la détruire.
Elle semble en avoir entendu parler, mais tant qu’elle ne sent rien, elle s’en
fiche. Moi, je n’ai aucun scrupule. Je suis bien, je joue mon rôle. Je l’allume.
Elle mourra un jour, grâce à moi et à d’autres aussi. C’est tout une
organisation, une sorte de projet conçu par un ensemble de gens en secret qui
ont décidé d’exterminer les autres, les faibles, les frustrés, les soumis, ceux
qui se croient forts… Je me suis introduite dans ce cercle pour embaumer,
flouter leur existence.
Dans la pièce, y a de la joie partout, des rires, des cris
quelquefois. J’observe la scène de mon lieu de prédilection, en compagnie de
mes camarades quoi n’ont pas souffert, mais qui se sont aussi sacrifiées dans
cette aventure. Je suis heureuse de jouir enfin, d’être au centre de tout cela.
Elle me caresse de ses doigts, m’embrasse, me respire, me rend vivante et
utile. Mourir dans la jouissance finalement, c’est ce que nous faisons toutes
les deux.
Je partage ce moment avec une autre camarade qui va vivre un
peu plus longtemps que moi, nous échangeons, mêlons nos envies à celles des
autres.
Il est temps pour moi de partir, de laisser la place. Entre
ces doigts je sais que je diminue et je la diminue, que je sers dans sa gorge,
que ma vie aura un sens puisqu’elle va se réincarner à l’intérieur de son corps
sous une autre forme avec l’aide de toutes mes amies, je le sais.
Elle me respire une dernière fois, ferme les yeux pour vivre
cet orgasme final, je sens des frémissements moi aussi…. Elle m’écrase au fond
du cercle de cendre rempli de mégots qui est mon cimetière à présent et elle
respire à nouveau.
Nous nous retrouverons…
En cendre.
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