mercredi 27 mai 2015

VIVRE DANS SON LIT

craies grasses


Certains diront que vivre dans son lit
Est paresse et fuite du temps
Mais pour moi il est un combat contre l’activisme
Contre nos sociétés qui prône la productivité et le « faire »

À qui mieux mieux…

Ah ! Mon cher et doux lit !
Mes draps du soir, mon châle du jour !

La passion nous étreint quand nous sommes ensemble
Je te recouvre à tout moment, fidèle et au poste
Dans ces draps je retrouve un semblant de soi(e) parfois délaissé par la course du temps

Sur toi, je lis, je dors, je médite
Je rêve parfois tout éveillée
Une fois le corps posé, la régression est possible
Le sommeil et l’envie d’imaginer peuvent prendre le relais

Le lit, coupe-temps juste ce qu’il faut
Je reste connectée
En déployant mon moi

Sur l’édredon je peux aussi travailler
Regarder un film ou bien même écrire mes pensées
Proust, Twain et Colette l’ont testé
Oh! mon lit
Tu es un puissant penseur d’idées, de rêves et d’évasions permises
Tu déploies mon moi aussi
Par des ondes possibles par le progrès

Tu es un art de vivre

Tu portes mon corps, pour laisser libre l’esprit
S’exprimer, pur
Tu t’empares de mes faiblesses pour les transformer en force
Tu (me) récupères et moi aussi
Douceur possible
Sans le regard de l’autre
Intrusif

La position horizontale
Un catalyseur d’introspection
Propension à la concentration

Docteur Freud n’a-t-il pas choisi un divan
Pour ses patients impatients ?
Allongée, mes mots se libèrent
Ma parole se meut
Mes souvenirs éclatent
Mon imaginaire explose
Associations libres

Mon lit-refuge quand j’ai mal
Pour cuver un chagrin
Un oreiller en guise d’abri
Une couette pour envelopper ma vie intérieure quand les blessures s’ouvrent
Une porte pour la solitude
Un isoloir pour voir grandir en moi
Une renaissance possible

Une intimité à préserver
Quelquefois quand on est envahi

Mon lit, ivre, livre mes émotions
En fait une lecture lisible
Libère les tensions

Pour d’autres, le lit est punition ou bien pire
Maladie
Stress
Rébellion

Pour moi il est cette possible vigilance au monde
Ce lâcher-prise
 Il m’autorise cette auto-bienveillance
Qui par ricochet
Va être transmise.

vendredi 15 mai 2015

Tant d’humanité dans un si petit bout de papier



Je ne suis pas une chose, ni une idée
Le foulard rouge -acrylique
Mais une personne à respecter.
Respect…. Spectre enterré
Pour mon enfant qui grandit
Je veux le meilleur qui existe
Et ce qui n’est pas encore inventé
Mais déjà, un savoir, une santé
Le respect de son entité
De son nom, de ses différences
Il a le droit à une chance
Respect de son être
Identité
          
Cela demande de regarder derrière soi
Moi, parent c’est ce qui m’a manqué
Mon nom je l’ai porté
Je l’ai crié.
Surdité.
Puis je l’ai fait taire
Sous le voile
Du silence
J’ai recouvert mes plaies
Il faut avancer, la douleur est là… Avec qui la partager ?
Indifférence

Mais mon enfant, il a le droit au respect
Il faut le sauver
Je ne suis pas une onde
Un sujet à déballer,
Un débat pour occuper les foules
Refoulées.
Je ne suis pas égarée, juste une porte fermée
Je veux de l’égard pour ceux que j’ai chéris
Ma revanche c’est que mon enfant soit aimé
Amour dans les mots, amour dans les gestes
Amour dans la foi… et ce qu’il me reste

Je crois pourtant aux sillons, aux traces creusées dans les tréfonds de mon être
À ces chemins que j’ai tracés, mais vers lesquels je ne suis pas allée
Ils sont là pour mon enfant 
Ce que je n’ai pas reçu ; on va le lui donner
moi, toi et tous ceux qui l’ont aimé.
Respect
Du maître et de ses paroles
De sa confiance et de ce qu’il va transmettre
Sa voix, la mienne, la sienne
À lui, à moi, à l’autre qui ignore et qui s’ignore
Dignité
Un mot qui résonne dans le silence de mon voile.
Je me suis couverte de dignité…
Narcissisme des différences
Me reconnais-tu ?
Altérité

J’étais transparente… mais suis-je visible à présent ?
Je veux crier mon être
Le voir paraître
Et disparaître
Pour renaître
Et m’inventer

Aujourd’hui
J’ai mis en lumière mon antre
Mon espoir, ma langue, mon écriture
Je veux laisser mes traces
Sur un buvard, qu’il absorbe mes maux !

J’ai écrit
L’espoir et ma reconnaissance
Sur un petit bout de papier
Pour retrouver ma place
Mon unité
Je veux laisser ma signature
Mon nom en bas de la page
Pour mon enfant
Mon humanité
Des maîtres mots déployés à recoller :
Reconnaissance, respect et dignité


Cela fait longtemps… qu’on attendait

 À toutes ces mamans qui attendent les bras ouverts

Atelier d'écriture avec parents d'élèves
2009

jeudi 14 mai 2015

Pudeur

Fusain

Qu'est-ce qui demeure au 
 
 sein du changement?
                                                





  (Kôan zen)

lundi 4 mai 2015

Boule à Pique


Je crois que maman va mourir.
Elle se fixait tous les jours, sur une chaise, sous le sapin majestueux que ses parents avaient plantés là, à sa naissance. Elle passait son temps à tricoter, les yeux sombres, plongeait dans des gestes répétés inlassablement.
Je l''observais de loin et je pouvais l'apercevoir quelquefois souriante et parlant à elle-même. A d'autres moments, elle chantait des berceuses de mon enfance. J'en profitais pour installer mes jeux derrière l'arbre et je prêtais l'oreille.
Un matin alors que Papa et moi étions dans le jardin à construire un nichoir pour accueillir  les hirondelles de voyage, elle sortit, et s'installa au même endroit.  Nous la scrutions. Je sentais Papa soucieux et triste mais aucun son n'arrivait à sortir de sa bouche.
 C'était le printemps, pourtant  des bourgeons de crainte fleurirent dans mon cœur. Je décidais de questionner Papa même s'il m'avait déjà plusieurs répété que Maman était malade.
-Dis papa, est-ce que Maman va mourir?
Il y eut une longue pause.
-Non Maman ne va pas mourir, lança t-il hésitant et le regard lointain.
-Maman ne joue plus avec moi, elle ne m'embrasse plus comme avant, ai-je fait une bêtise?
-Non ma fille, s'empressa t-il de répondre, c'est juste que ta maman est malade et qu'elle a besoin de beaucoup de repos. Il faut attendre encore et être patiente. Il ne faut pas trop la déranger.
-Qu'est ce qu'elle a maman?
Papa chercha ses mots. Des larmes s'installèrent au coin de ses yeux, mais timides, elles refusaient de se laisser glisser sur sa joue.
Il m'invita au lac, non loin de là, pour s'amuser à jouer aux ricochets comme on le faisait souvent.
Mon père commença à lancer la pierre de façon oblique sur l'eau. Elle s'élança très loin et fit sept rebonds avant de plonger dans la masse visqueuse.
-Tu vois dans la vie mon trésor, sans cesse faudra s'élancer, rebondir, face aux chocs de l'existence.
J'essayais à mon tour.
-Huit rebonds, je te bats papa!
Papa était fier de moi. Il ramassa une pierre et se concentra. Puis il la laissa tomber sur le sol et prit mon visage entre ses mains.
-Maman a une maladie qui  s'appelle le cancer.
Un mutisme général s'installa. Cela sembla durer une éternité. Les  petits clapotis de l'eau nous ramenèrent à la réalité.
-Tu veux dire qu'elle a une méchante « boule à pique»  dans son corps? Elle va mourir alors?
-Nous ne savons pas encore. Les docteurs font tout pour bien la soigner.
Mes larmes jaillirent. Je ramassais des dizaines de pierres et une à une je les lançais à raz l'eau pour obtenir  le maximum de ricochets possibles.
-Si elle meurt, je prendrai l'avion pour la rejoindre dans le ciel.
Je me précipitai derrière mon arbre, celui qu'avaient planté mes parents à ma naissance. Je le voyais tout petit. Il était à côté de celui de  Papa,  immense. Je pleurais et je repensais à ces derniers jours où j'observais Maman, maintenant  je revoyais les choses tout autrement.
Depuis un certain temps, Maman faisait toujours les mêmes choses. Elle  passait beaucoup de temps  dans sa chambre. Elle en sortait pour déjeuner avec nous et manger la pas très bonne purée de papa. En  passant elle déposait un petit bisou sur ma tempe. Elle repartait aussitôt dans son monde insonore, sous son arbre. Quelquefois elle partait seule se promener dans les bois.
C'est vrai, maintenant papa s'occupait de tout  à la maison. C'était lui qui faisait les courses, qui préparait le repas, qui m'aidait pour le bain. Il m'emmenait à l'école, il me lisait les histoires le soir, il jouait avec moi.
Chaque jour qui déroulait était pour moi une attente. Je comprenais à présent, pourquoi. J'attendais avec impatience, un geste, une main, celle de maman qui allait me prendre et m'emporter comme avant, au bord du lac, dans les prairies fleuries, pique-niquer, écouter le chant de oiseaux. Mais rien.
Maman me manquait .....Déjà.
 Un jour, alors que je jouais au dragon dans le jardin, maman m'appela de sa chaise. Je courus, les yeux pétillants de bonheur rien qu'à l'idée qu'elle prononce mon nom.
Je m'approchai d'elle qui était devenue depuis plusieurs jours  secrète. J'étais béate. Mais après quelques secondes d'euphorie ,je remarquai qu'elle était différente. Son regard avait changé. C'était comme un vide. Je reculai en me disant que c'était l'ombre du sapin qui transformait son expression. Mais non, elle avait toujours ce regard froid. J'étais effrayé de voir qu'elle avait perdu beaucoup de ses cheveux. Elle me prit la main et m'attira tendrement à elle. J'avais du mal à me concentrer. Elle semblait soudainement lointaine. Je lui souris. Je vis des traits sur son visage et sa peau qui dessinaient des lignes comme un champ à peine labouré.
Elle me sourit enfin, et je pus reconnaitre celle qui me berçait quand j'étais bébé. Son enchantement tendre et complice me ramena à elle. Mon cœur se remplit d'elle, je me jetai dans ces bras; des bras qui savaient m'entourer, me détendre. Elle me caressa les épaules et m'invita à m'assoir prêt d'elle. Je pouvais sentir ce parfum que j'aimais tant, et je m'abandonnai.
Elle étendit  avec peine, sur le sol, son ouvrage. Je la scrutais, je ne voulais rien rater.
-Voilà ma fille, c'est pour toi, prononça t-elle sereinement
J'écarquillai les yeux et des larmes ruisselèrent sans retenue.
-C' est une couverture que j'ai tricoté pour toi.
J'observais cette liseuse aux mille couleurs.  Belle et chatoyante. Je pensais à tous ces moments qu'elle avait passé à tricoter, en pensant à moi.
-Tu vois, ici fit-elle en me montrant les motifs dessinés sur la  couverture, ici c'est ton histoire  passée, là celle d'aujourd'hui et celle à-venir.
Là, c'est ta naissance.
Maman me montrait une partie de la couverture où était dessiné des flocons de neige d'une pure blancheur. Elle m'invita à caresser ce morceau. Elle me conta ma naissance, un soir enneigé et toute émue elle insista sur le bonheur immense de m'avoir inventé tel que je suis. Elle me montra des traces représentant des pas  sur la neige et me dit que c'était mes empreintes, mon identité, mon inscription. Je ne comprenais pas tout mais  d'entendre la douceur de ses paroles m'apaisait et suffisait à me remplir de joie.
-Ici c'est le soleil, repéra Maman, et quand il se couche, et que l'obscurité s'installe, tes yeux se poseront sur ce soleil et tu verras apparaitre  et se dessiner nos merveilleux moments de bonheurs. Tu t'endormiras sagement, sereinement. Et sache que lorsque le soleil s'en ira, tes rêves prendront le relais et à ton réveil, la clarté apparaitra.
Elle parlait et Je la retrouvais, belle, comme avant. Les traces sombres sur son visage avait disparues. Le soleil  de la couverture se reflétait sur sa peau.
Elle poursuivit la description de son ouvrage. Elle s'arrêta sur un dessin  représentant un livre ouvert à moitié remplit d'écriture. Elle m'expliqua  que c'était le chemin à parcourir .Qu'il fallait que j'aille au bout de mes questionnements et que jamais je ne devais renoncer à mes rêves.
Je me plongeais dans les détails de cette magnifique couverture. Mon corps s'y  abandonna. Elle m'enveloppa. Je sentis le parfum de maman et des 'images  foisonnèrent. Les yeux clos je voyageais parmi toutes ses couleurs. Je posai une oreille sur la couverture, des  chants et des berceuses caressèrent mon oreille.  J'apercevais Maman. Maman qui me berçait et me câlinait.
Je finis par m'endormir paisible.

Je me réveillai en fin  d'après midi, Papa coupait du bois non loin de là. Maman était assise prés de lui. Ils se parlaient. Je trainai mes pieds en me dirigeant vers mes parents. A mon arrivée, j'eus un accueil merveilleux. Papa arrêta son travail et prit ma main et celle de Maman. Nos pas résonnaient dans la plénitude du soir. Nous arrivâmes au bord du lac .Tout était calme. Maman déplia ma couverture. Nous nous assîmes dessus. Le soleil n'allait pas tarder à se coucher. Le crépuscule nous offrit une lumière exceptionnelle.




Hommage