Je crois que maman va mourir.
Elle se fixait tous les
jours, sur une chaise, sous le sapin majestueux que ses parents avaient plantés
là, à sa naissance. Elle passait son temps à tricoter, les yeux sombres,
plongeait dans des gestes répétés inlassablement.
Je l''observais de loin et
je pouvais l'apercevoir quelquefois souriante et parlant à elle-même. A
d'autres moments, elle chantait des berceuses de mon enfance. J'en profitais
pour installer mes jeux derrière l'arbre et je prêtais l'oreille.
Un matin alors que Papa et
moi étions dans le jardin à construire un nichoir pour accueillir les hirondelles de voyage, elle sortit, et
s'installa au même endroit. Nous la
scrutions. Je sentais Papa soucieux et triste mais aucun son n'arrivait à
sortir de sa bouche.
C'était le printemps, pourtant des bourgeons de crainte fleurirent dans mon cœur.
Je décidais de questionner Papa même s'il m'avait déjà plusieurs répété que
Maman était malade.
-Dis papa, est-ce que Maman
va mourir?
Il y eut une longue pause.
-Non Maman ne va pas
mourir, lança t-il hésitant et le regard lointain.
-Maman ne joue plus avec
moi, elle ne m'embrasse plus comme avant, ai-je fait une bêtise?
-Non ma fille, s'empressa
t-il de répondre, c'est juste que ta maman est malade et qu'elle a besoin de
beaucoup de repos. Il faut attendre encore et être patiente. Il ne faut pas
trop la déranger.
-Qu'est ce qu'elle a maman?
Papa chercha ses mots. Des
larmes s'installèrent au coin de ses yeux, mais timides, elles refusaient de se
laisser glisser sur sa joue.
Il m'invita au lac, non
loin de là, pour s'amuser à jouer aux ricochets comme on le faisait souvent.
Mon père commença à lancer
la pierre de façon oblique sur l'eau. Elle s'élança très loin et fit sept
rebonds avant de plonger dans la masse visqueuse.
-Tu vois dans la vie mon trésor,
sans cesse faudra s'élancer, rebondir, face aux chocs de l'existence.
J'essayais à mon tour.
-Huit rebonds, je te bats
papa!
Papa était fier de moi. Il
ramassa une pierre et se concentra. Puis il la laissa tomber sur le sol et prit
mon visage entre ses mains.
-Maman a une maladie
qui s'appelle le cancer.
Un mutisme général
s'installa. Cela sembla durer une éternité. Les
petits clapotis de l'eau nous ramenèrent à la réalité.
-Tu veux dire qu'elle a une
méchante « boule à pique» dans son
corps? Elle va mourir alors?
-Nous ne savons pas encore.
Les docteurs font tout pour bien la soigner.
Mes larmes jaillirent. Je
ramassais des dizaines de pierres et une à une je les lançais à raz l'eau pour
obtenir le maximum de ricochets
possibles.
-Si elle meurt, je prendrai
l'avion pour la rejoindre dans le ciel.
Je me précipitai derrière
mon arbre, celui qu'avaient planté mes parents à ma naissance. Je le voyais
tout petit. Il était à côté de celui de
Papa, immense. Je pleurais
et je repensais à ces derniers jours où j'observais Maman, maintenant je revoyais les choses tout autrement.
Depuis un certain temps,
Maman faisait toujours les mêmes choses. Elle
passait beaucoup de temps dans sa
chambre. Elle en sortait pour déjeuner avec nous et manger la pas très bonne
purée de papa. En passant elle déposait
un petit bisou sur ma tempe. Elle repartait aussitôt dans son monde insonore,
sous son arbre. Quelquefois elle partait seule se promener dans les bois.
C'est vrai, maintenant papa
s'occupait de tout à la maison. C'était
lui qui faisait les courses, qui préparait le repas, qui m'aidait pour le bain.
Il m'emmenait à l'école, il me lisait les histoires le soir, il jouait avec
moi.
Chaque jour qui déroulait
était pour moi une attente. Je comprenais à présent, pourquoi. J'attendais avec
impatience, un geste, une main, celle de maman qui allait me prendre et
m'emporter comme avant, au bord du lac, dans les prairies fleuries, pique-niquer,
écouter le chant de oiseaux. Mais rien.
Maman me manquait .....Déjà.
Un jour, alors que je
jouais au dragon dans le jardin, maman m'appela de sa chaise. Je courus, les
yeux pétillants de bonheur rien qu'à l'idée qu'elle prononce mon nom.
Je m'approchai d'elle qui
était devenue depuis plusieurs jours
secrète. J'étais béate. Mais après quelques secondes d'euphorie ,je
remarquai qu'elle était différente. Son regard avait changé. C'était comme un
vide. Je reculai en me disant que c'était l'ombre du sapin qui transformait son
expression. Mais non, elle avait toujours ce regard froid. J'étais effrayé de
voir qu'elle avait perdu beaucoup de ses cheveux. Elle me prit la main et
m'attira tendrement à elle. J'avais du mal à me concentrer. Elle semblait
soudainement lointaine. Je lui souris. Je vis des traits sur son visage et sa
peau qui dessinaient des lignes comme un champ à peine labouré.
Elle me sourit enfin, et je
pus reconnaitre celle qui me berçait quand j'étais bébé. Son enchantement
tendre et complice me ramena à elle. Mon cœur se remplit d'elle, je me jetai
dans ces bras; des bras qui savaient m'entourer, me détendre. Elle me caressa
les épaules et m'invita à m'assoir prêt d'elle. Je pouvais sentir ce parfum que
j'aimais tant, et je m'abandonnai.
Elle étendit avec peine, sur le sol, son ouvrage. Je la
scrutais, je ne voulais rien rater.
-Voilà ma fille, c'est pour
toi, prononça t-elle sereinement
J'écarquillai les yeux et
des larmes ruisselèrent sans retenue.
-C' est une couverture que
j'ai tricoté pour toi.
J'observais cette liseuse
aux mille couleurs. Belle et chatoyante.
Je pensais à tous ces moments qu'elle avait passé à tricoter, en pensant à moi.
-Tu vois, ici fit-elle en
me montrant les motifs dessinés sur la
couverture, ici c'est ton histoire
passée, là celle d'aujourd'hui et celle à-venir.
Là, c'est ta naissance.
Maman me montrait une
partie de la couverture où était dessiné des flocons de neige d'une pure
blancheur. Elle m'invita à caresser ce morceau. Elle me conta ma naissance, un
soir enneigé et toute émue elle insista sur le bonheur immense de m'avoir
inventé tel que je suis. Elle me montra des traces représentant des pas sur la neige et me dit que c'était mes
empreintes, mon identité, mon inscription. Je ne comprenais pas tout mais d'entendre la douceur de ses paroles m'apaisait
et suffisait à me remplir de joie.
-Ici c'est le soleil,
repéra Maman, et quand il se couche, et que l'obscurité s'installe, tes yeux se
poseront sur ce soleil et tu verras apparaitre
et se dessiner nos merveilleux moments de bonheurs. Tu t'endormiras
sagement, sereinement. Et sache que lorsque le soleil s'en ira, tes rêves
prendront le relais et à ton réveil, la clarté apparaitra.
Elle parlait et Je la
retrouvais, belle, comme avant. Les traces sombres sur son visage avait
disparues. Le soleil de la couverture se
reflétait sur sa peau.
Elle poursuivit la
description de son ouvrage. Elle s'arrêta sur un dessin représentant un livre ouvert à moitié remplit
d'écriture. Elle m'expliqua que c'était
le chemin à parcourir .Qu'il fallait que j'aille au bout de mes questionnements
et que jamais je ne devais renoncer à mes rêves.
Je me plongeais dans les
détails de cette magnifique couverture. Mon corps s'y abandonna. Elle m'enveloppa. Je sentis le
parfum de maman et des 'images
foisonnèrent. Les yeux clos je voyageais parmi toutes ses couleurs. Je
posai une oreille sur la couverture, des
chants et des berceuses caressèrent mon oreille. J'apercevais Maman. Maman qui me berçait et
me câlinait.
Je finis par m'endormir
paisible.
Hommage
C?est magnifique Karima...
RépondreSupprimerTu es sensible...merci Perrine. Tes commentaires me font du bien.
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